Fermer Menu
Nouvelles

Face à la recrudescence des grêles, que font les Bordelais ?

Les discussions sur le changement climatique à Bordeaux se concentrent sur la hausse des températures et la gestion de l'eau, mais le climat devient également plus volatile avec des orages de grêle plus fréquents et plus violents. Wendy Narby fait le point sur ce problème et sur les mesures prises par les vignerons pour y remédier.

En 2009, Saint-Émilion a été durement touché juste avant les vendanges, mais depuis, des tempêtes de grêle ont frappé la région en 2013, 2018, 2020, 2021 et 2022. En juin de cette année, la grêle a traversé le Médoc jusqu'à Fronsac, en passant par Lalande de Pomerol, Montagne Saint Emilion et touchant la limite nord de Pomerol, anéantissant plusieurs petits vignobles. La raison est climatique : l'augmentation des températures accroît l'évaporation, notamment en raison de la proximité de l'océan Atlantique, et des gouttelettes d'eau se forment autour des grains de poussière soulevés par le vent. L'augmentation de l'humidité dans les nuages crée des grêlons plus gros lorsque les nuages s'élèvent et que les grêlons tombent avant d'être à nouveau soulevés par les courants d'air jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment lourds pour tomber.

La grêle est très localisée, détruisant certaines propriétés mais épargnant les voisins. Les grandes propriétés dont les parcelles sont réparties sur l'ensemble d'une appellation atténuent le risque d'orages de grêle localisés, tandis que les petites propriétés peuvent être anéanties par un seul orage. C'est la taille réduite des vignobles de la rive droite qui a rendu les derniers orages si douloureux.

Les dégâts dépendent de l'intensité, de la taille des grêlons et de la saison. Les orages du mois dernier ont frappé alors que les baies venaient de se former, arrachant les feuilles des vignes, mais ces feuilles offrent une certaine protection. En 2021, la grêle a frappé près de 900 hectares de vignes au début du mois de septembre dans le Médoc et l'Entre-deux-Mers, endommageant les raisins mûrs, en particulier là où les feuilles avaient été enlevées pour donner aux baies une plus grande exposition au soleil. Les ouvriers ont dû essayer d'enlever les raisins touchés pour éviter que la pourriture ne se propage, car les pousses et les sarments abîmés peuvent affecter la taille pour le millésime suivant. Les vignes endommagées doivent encore être soignées, ce qui est exaspérant et coûteux lorsque l'on sait que la production sera faible ou inexistante !

Détection et protection

Il n'y a pas vraiment de remède une fois que l'on est touché, c'est pourquoi la détection et la protection sont essentielles. Dans ce domaine, la technologie évolue et les viticulteurs bordelais collaborent de plus en plus pour la mettre en œuvre.

La protection concertée est en place depuis plus de cinquante ans grâce à Adelfa33, une association cofinancée par les collectivités locales, le CIVB, la chambre d'agriculture et les viticulteurs des appellations participantes qui paient une taxe de 1,50 € par hectare. Un réseau de 140 générateurs répartis dans toute la région est géré par des bénévoles, principalement des viticulteurs, qui sont disponibles d'avril à octobre. Trois heures avant l'arrivée d'un orage, ils sont alertés pour déclencher physiquement un générateur qui envoie de l'iodure d'argent à 3 ou 5 kilomètres d'altitude dans les nuages. L'idée est que ces petits cailloux fondent en tombant sur le sol et se transforment en pluie ou en cailloux si petits que leur impact est négligeable.

Il est important que le réseau fonctionne, car le groupe électrogène de votre vignoble protège probablement votre voisin lors du passage de la tempête. Plus de 20 régions françaises participent à ce système éprouvé, la Gironde ayant la plus forte densité de générateurs. Idéalement, il faut un générateur tous les 10 km, ce qui n'est pas évident dans les régions peu peuplées du sud et de la côte, d'où arrivent souvent les tempêtes.

L' appellation Margaux a adhéré au système Adelfa et est satisfaite de la protection qu'il offre. Depuis le début de l'année, ils ont déjà enregistré 19 à 20 alertes, déclenchées lorsque le risque de formation d'orages est supérieur à 30 %.

D'autres propriétés font cavalier seul. Le château Gruaud Larose, à Saint-Julien, par exemple, a installé un canon à grêle en 1998, l'année où Jacques Merlaut a acheté la propriété. Situé au centre de leur propriété de 82 ha, il allume un mélange d'air et de gaz qui envoie une onde de choc sonore dans les nuages, modifiant à nouveau le cycle de montée et de descente des nuages et ralentissant ou arrêtant la formation des grêlons. Il protège un rayon d'un kilomètre, ce qui est parfait pour la taille de leur vignoble.

Déclenché 30 minutes avant l'orage, il se déclenche toutes les 10 secondes environ, fonctionnant en moyenne 7 ou 8 fois par an, pour une durée allant de quelques minutes à quelques heures. L'impressionnant sifflement et le boom ne posent pas de problème lorsque l'on est entouré de vignes, mais en posent davantage lorsque l'on a des voisins proches, même si beaucoup sont heureux de bénéficier de cette protection. Il est difficile de contrôler l'efficacité du système, mais la directrice technique Virginie Salette observe que les vignes semblent échapper aux dégâts causés par la grêle, à l'exception d'une année où le canon a souffert d'un problème technique et a mal fonctionné. Il s'agit toutefois d'une option coûteuse, l'installation coûtant environ 45 000 euros (aux taux actuels), auxquels s'ajoutent des frais d'exploitation de quelques milliers d'euros par an pour l'entretien, les fournitures et l'abonnement au radar.

Le voisin Château Talbot possède un canon similaire, tandis que les trois Léoville se sont regroupés pour financer un système Selerys. Ce nouveau système d'ensemencement des nuages utilise des ballons silencieux en latex remplis d'hélium pour envoyer des cartouches de sel à la base du nuage, empêchant ainsi le mouvement à l'origine de la formation des grêlons. Selerys a été conçu à l'origine pour déclencher des précipitations et la fonction anti-grêle a été adoptée par les constructeurs automobiles pour protéger les parkings remplis de voitures neuves.

Contrairement aux générateurs d'iode d'argent, les ballons peuvent être déclenchés à distance à partir d'un téléphone intelligent à la suite d'une alerte SMS, se gonflant et se lançant à l'approche des nuages d'orage. Il existe également des versions qui peuvent être actionnées manuellement depuis le sol. Adelfa expérimente également des systèmes semi-automatiques, car le recrutement de volontaires pour se rendre au milieu de l'orage est l'une des principales pierres d'achoppement du système.

Par leur taille plus petite, les vignobles de la rive droite sont particulièrement vulnérables à la grêle et les propriétés ont expérimenté ici une protection anti-grêle depuis un certain temps. 1er Grand cru Classé Château Canon La Gaffelière a été durement touché en 2009, perdant près de 90 % de sa récolte, et a été l'un des premiers à utiliser les ballons anti-grêle.

Ce système a également été adopté par le Conseil de Vins de Saint-Émilion . Après avoir étudié les différentes options avec des spécialistes du climat pendant deux ans, il a voté en janvier 2021 la mise en place de la protection Selerys pour une période test de sept ans. 37 lanceurs semi-automatiques ont été installés dans les appellations de Saint-Émilion, Lussac et Puisseguin, avec 20 volontaires. En plus d'être d'astreinte pour déclencher les lanceurs, les volontaires assurent également la maintenance et l'approvisionnement des lanceurs.

Un radar haute performance situé à Saint-Christophe des Bardes surveille l'humidité, la formation des nuages et la charge électrique des nuages, détectant ainsi le développement précoce des tempêtes. Une application sur les téléphones des bénévoles envoie un message d'alerte lorsqu'un nuage orageux se trouve à 30 km. À 15 km, les bénévoles en attente lancent les ballons à distance d'un simple clic depuis leur téléphone ou leur ordinateur. Les cartouches explosent à la bonne altitude pour distribuer le sel. Jusqu'à six ballons sont utilisés en fonction de l'ampleur de l'orage.

Le coût total s'élève à 550 000 euros, plus l'entretien et les fournitures, financés par tous les viticulteurs selon un barème allant de 200 euros par hectare pour les crus classés à 40-50 euros pour l'appellation Saint Emilion et les satellites de Lussac et Puisseguin.

Franck Binard, directeur du Conseil des vins de Saint-Émilion, a souligné l'importance du réseau de bénévoles dans l'ensemble de l'appellation, tous les lanceurs devant travailler ensemble pour assurer la protection lorsque les tempêtes traversent la région. Jusqu'à présent, les résultats ont été très positifs. M. Binard a souligné qu'il n'y a pas de garantie à 100 %, mais que le risque est réduit de 60 à 70 % et qu'au cours des quatre dernières années, un seul épisode rare, en 2023, a causé des dégâts.

Depuis, la famille von Neipperg a transféré ses installations au Château d'Aiguilhe dans la région voisine de Castillon Côtes de Bordeaux, protégeant ainsi leurs vignes et certains de leurs voisins. D'autres installations au Château Angelus et au Château Figeac ont été incorporées dans le nouveau réseau.

La grêle du mois de juin a mis en évidence le manque de protection des autres appellations de la rive droite. Pomerol n'avait pas été touché depuis 1984, les orages venant normalement du sud, mais cette année, ils sont venus de l'ouest. Au Château la Conseillante à Pomerol, la directrice Marielle Cazaux a expliqué que leur position à la limite de Saint-Émilion leur permet de bénéficier du système de radar de Saint-Émilion. Avec son voisin, le Château l'Evangile ils ont investi dans leur propre système Selerys.

Château Beauregard, Château Petit-Village et Petrus disposent d'un réseau Sobli, un système semi-automatique avec des propriétés qui coordonnent leurs actions via WhatsApp. Pomerol a probablement besoin de cinq machines supplémentaires pour couvrir l'ensemble de l'appellation.

La région de Fronsac a également été durement touchée en juin, selon Damien Landouar, président du Conseil des vins de Fronsac et directeur du Château de Gaby. Château de Gaby. Les premiers rapports indiquent que 60 à 70 % des propriétés ont été touchées, sur une surface comprise entre 40 et 100 %. Un viticulteur, Sally Evans à Château George 7, a perdu la majeure partie de sa récolte, bien qu'il soit trop tôt pour savoir ce qui peut être sauvé. Son chai de 3 ha, situé sur une seule parcelle autour de sa cave, est idéal pour rentrer rapidement les raisins, mais augmente clairement le risque de dégâts en cas de tempête.

Après ces attaques de 2024, Fronsac et Lalande de Pomerol examinent les initiatives collectives d'autres appellations.

Saint-Estèphe dispose d'un système collectif similaire. Après la tempête de grêle catastrophique de 2022, l'appellation a voté en faveur de l'installation du système Soblis, composé de 7 stations réparties sur les 1200 hectares de l'appellation et reliées aux radars de Pauillac et de Saint Laurent. Avec seulement 60 vignobles à Saint-Estèphe, cela facilite la collaboration, une philosophie collective qui était déjà en place grâce à leur travail commun pour installer la confusion sexuelle à travers l'appellation.

Opérationnelle depuis l'hiver 2022, elle a connu de nombreux lancements mais n'a pas été endommagée par la grêle jusqu'à présent. Il y a deux volontaires par station, Stéphane Rougé, directeur technique du Château Phelan Segur en fait partie. Au centre du vignoble, il a déguisé leur conteneur de lancement en une cabane en bois, semblable à celles que l'on trouve sur l'Atlantique tout proche.

Tunnel de Viti

Une autre innovation est le Viti Tunnel, un parapluie solaire qui se déploie rapidement au-dessus des vignes et qui a été mis au point pour protéger les vignes contre un excès de pluie et réduire les maladies fongiques ; il est utilisé dans des vignobles tests depuis cinq ans. Jusqu'à présent, les résultats sont prometteurs en ce qui concerne le mildiou et il semble qu'il y ait également un avantage contre la grêle. Lorsque le site d'essai du Château Dillon dans le Haut-Médoc, a été touché par la grêle en 2022, les dégâts n'ont été que de 6 %, contre 40 % sur le site non protégé - bien qu'il s'agisse encore d'une expérience.

Assurance

Mieux vaut prévenir que guérir, mais les vignobles peuvent s'assurer contre la grêle, comme ils peuvent le faire contre d'autres risques climatiques. La grêle n'est pas la menace la plus importante ni la plus coûteuse, puisqu'elle ne représente en moyenne que 3 % des demandes d'indemnisation, contre 20 % pour le mildiou dès cette année.

Les primes d'assurance représentent environ 3 % du montant couvert, grâce notamment au soutien de l'État par le biais de la PAC (politique agricole commune), une subvention destinée à mieux couvrir les viticulteurs et à les encourager à souscrire une assurance-récolte. Le montant remboursé est calculé sur la base d'une moyenne quinquennale des rendements de la surface assurée, avec une franchise de 10 %. Elle ne compensera peut-être pas totalement une perte de récolte, mais elle contribuera à rembourser les travaux dans les vignobles qui doivent être effectués lorsqu'il n'y a plus de raisin à vendanger.

Les assureurs sont bien placés pour percevoir les implications financières des récents changements climatiques. L'assureur spécialisé Christophe Dardenne estime qu'environ 30 % des vignobles bordelais sont assurés contre la grêle, souvent dans le cadre d'une police multirisque. En 2022, certaines propriétés se sont assurées contre le gel, la grêle et la sécheresse - cependant, lorsque l'argent est rare, les propriétés économisent souvent sur l'assurance, souvent à leur propre détriment.

Préoccupations en matière de sécurité

Bien que ces innovations présentent des avantages évidents, des questions ont été soulevées concernant la pollution due à l'envoi d'iodure d'argent et de sel dans les nuages, qui retombent ensuite sur les vignobles - mais les quantités infimes ne semblent pas poser de problème. Les producteurs avec lesquels je me suis entretenu sont d'accord pour dire qu'il y a de plus en plus de violentes tempêtes de grêle dans la région, ce qui, avec les gelées tardives et l'augmentation des cas de chaleur extrême, prouve que les schémas météorologiques sont vraiment en train de changer.

Depuis le début de l'année, le Château Gruaud Larose a déjà déclenché son canon 10 fois, soit plus que la moyenne annuelle, tandis que Dominique Fedieu, directeur de l'Adelfa, a déclaré avoir déjà reçu 19 à 20 alertes avec un risque de plus de 30 %. À l'heure où j'écris ces lignes, 52 ballons ont été envoyés à Saint-Émilion la nuit dernière (11 juillet), sans qu'aucune grêle ne tombe, alors que des grêlons de la taille d'une balle de golf se sont abattus sur l'Entre-deux-Mers.

Toutefois, la question se pose de savoir si les appellations protégées ne font pas que repousser la grêle sur leurs voisins. En théorie, ces systèmes empêchent la grêle de se former et de tomber, au lieu de la repousser. Une propriété à laquelle j'ai parlé a décidé d'enlever un canon à grêle sur un vignoble qu'elle avait acheté, craignant qu'il ne soit pas éthique de repousser le problème sur les voisins. Cela souligne la nature collective de la protection contre la grêle et l'importance de travailler ensemble pour assurer une protection complète. Les trous dans le réseau - qu'il s'agisse de l'équipement ou des bénévoles - permettent à la grêle de passer.

Franck Binard de Saint Emilion et Damien Landouar ont tous deux souligné que la viticulture est une activité agricole par nature et que, qu'il s'agisse de la grêle ou du mildiou extrême que l'on observe cette année, il est important de rester humble lorsque l'on travaille avec la nature. Bien que ce soit le lot des agriculteurs, il existe heureusement de plus en plus de solutions.

Il semble que vous soyez en Asie, voulez-vous être redirigé vers l'édition de Drinks Business Asia ? Drinks Business Asia?

Oui, je vous invite à consulter l'édition Asie Non