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Saint Émilion 2023 : un millésime de plafond de verre

Le correspondant de db à Bordeaux, Colin Hay, poursuit sa visite de Bordeaux, appellation par appellation, avec Saint-Émilion. Bien qu'il ait trouvé plus de grands vins que dans n'importe quelle autre appellation, il constate également un plafond de verre - avec des producteurs plus petits et moins fortunés incapables de résister au mildiou endémique présenté par le millésime.

Il y a un moment presque inévitable dans une semaine en primeur où le réveil sonne très tôt, où l'on efface le sommeil de ses yeux, où l'on sort du lit à la recherche d'un café et où l'on court vers la Rocade et le Pont d'Aquitaine pour passer de la rive gauche à la rive droite (ou de la rive droite à la rive gauche) - invariablement pour le rendez-vous matinal le plus précoce de toute la semaine.

Après notre rapide remontée de la Gironde vers le nord depuis Margaux, en passant par Saint-Julien et Pauillac jusqu'à Saint-Estèphe, nous avons atteint ce point de notre voyage (même si nous reviendrons sur nos pas avant d'avoir terminé). Et, comme vous l'avez probablement déjà remarqué, ayant choisi à l'époque, de manière plutôt innocente, de remonter le Médoc vers le nord, notre passage vers la rive droite est, bien sûr, plus long qu'il n'aurait dû l'être.

Que nous réserve l'autre rive une fois sur place, et surtout à Saint-Émilion, notre première escale sur la rive droite ?

Le mot d'ordre est ici l'hétérogénéité. Et ce n'est peut-être pas surprenant, même si l'année dernière, à la même époque, j'écrivais sur l'étonnante homogénéité des 2022 de Saint-Émilion.

Comme je l'indiquais alors, nous avons tendance à considérer que le Saint-Émilion a une tendance presque naturelle à l'hétérogénéité pour trois raisons avant tout : premièrement, sa taille même ; deuxièmement, la gamme qualitative et la diversité de ses terroirs et, de façon cruciale, leurs capacités respectives à répondre aux conditions climatiques auxquelles ils sont confrontés ; et, troisièmement, sa diversité stylistique.

En 2023, je dirais que les deux premiers de ces facteurs étaient plus importants que le troisième. Mais ils sont rejoints par un quatrième - l'accès extrêmement inégal aux ressources permettant de faire face, et donc de compenser, les défis météorologiques posés par la saison de croissance.

Saint-Émilion est, bien sûr, une grande appellation avec plus de 4000 hectares de vignobles grand cru en 2023 (en comparaison, par exemple, avec les 1500 de Margaux et les 780 de Pomerol). Elle s'étend également sur une diversité de terroirs de qualité assez variable. Au cours d'une saison de croissance où même des vignobles contigus ont connu des différences significatives dans leur exposition, surtout au mildiou, cela a toujours été susceptible de produire une hétérogénéité considérable.

L'importance relative des pluies diluviennes qui ont ponctué le mois de juin et la mesure dans laquelle elles ont été relayées par des pics de température qui ont contribué à la propagation du mildiou ont été déterminantes à cet égard. En bref, dans certains vignobles, la pression naturelle du mildiou était tout simplement plus forte que dans d'autres, les terroirs calcaires et les parcelles de cabernet étant beaucoup plus résistants que leurs homologues de sable et de merlot, respectivement.

Les chiffres globaux (présentés dans le tableau 1) ne rendent guère compte de ces détails, même s'ils montrent l'accumulation importante de précipitations entre le débourrement et la récolte (notamment en juin).

Pre-budburst

(novembre-mars)

Du débourrement à la récolte

(avril à mi-octobre)

Total

(1/11-15/10)

St-Emilion 306 (-37.1%) 490.8 (+18.1%) 796.8 (-11.8%)
Margaux 398 (-19.3%) 464.6 (+11.0%) 862.6 (-5.7%)
St Julien 458 (-5.8%) 441.3 (+13.3%) 899.2 (+1.2%)
Pauillac 458 (-5.8%) 441.3 (+13.2%) 899.2 (+1.2%)
St-Estèphe 550.7 (+3.0%) 411.8 (+4.7%) 912.5 (+1.5%)
Pessac-Léognan 426 (-12.4%) 469.4 (+14.5%) 895.2 (0%)
Pomerol 338 (-31.5%) 470.0 (+14.5%) 808.1 (-10.9%)

Tableau 1 : Pluviométrie au cours du millésime (par rapport à la moyenne décennale)

Source: calculée à partir du rapport des Saturnalia sur les vendanges de Bordeaux 2023.

Mais, d'une certaine manière, la capacité relative des différentes propriétés à faire face à la pression du mildiou a été plus importante que tout cela. Les parties sud et ouest de l'appellation, plus plates, plus proches de la rivière, sur des sols plus sablonneux, ont subi dans certains cas des pertes terribles. Ce n'est pas parce que les conditions climatiques étaient nettement plus mauvaises, ni même vraiment parce que leurs terroirs étaient plus sensibles au mildiou (bien que ce soit le cas dans une certaine mesure), mais simplement parce que, avec un prix de vente moyen par bouteille beaucoup plus bas, elles n'avaient pas accès aux ressources financières et donc humaines nécessaires pour traiter efficacement. Le mildiou y est devenu endémique.

Pour aggraver la tragédie, les parcelles et les vignobles déjà affaiblis par le mildiou se sont révélés beaucoup plus sensibles à la dessiccation et à la combustion des fruits sur les vignes dans les conditions caniculaires de l'été indien qui a précédé immédiatement la récolte.

J'ai dégusté de nombreux vins provenant de ces parties de l'appellation. Mais vous ne trouverez pas beaucoup de mes notes de dégustation ci-dessous. En effet, même si cela me fait mal de le dire et sans que ce soit la faute de leurs producteurs, nombre d'entre eux n'ont pas atteint le seuil qualitatif requis pour figurer dans mon profil d'appellation.

C'est en effet le premier plafond de verre du millésime 2023 à Saint-Émilion. Mais ce n'est pas le seul.

L'hétérogénéité de Saint-Émilion dans ce millésime s'explique donc par la différence de capacité à faire face aux défis posés par la nature. Cela explique en grande partie pourquoi les rendements moyens des vignobles de Saint-Émilion (comme le montre le tableau 2) ont été beaucoup plus faibles (surtout par rapport à la moyenne décennale) que ceux de Pomerol, malgré des conditions météorologiques essentiellement similaires.

 

2019 2020 2021 2022 2023 Moyenne sur 10 ans Par rapport à la moyenne décennale (% de variation)
St Emilion (GC) 43.0 36.7 27.5 41.2 40.5 37.2 +8.9
Margaux 49.2 36.3 38.6 31.3 37.7 39.7 -5.0
St Julien 45.5 34.3 35.2 34.3 50.3 40.1 +25.4
Pauillac 46.7 37.4 35.1 34.8 47.1 39.7 +18.6
St Estèphe 49.7 41.2 40.7 31.5 51.6 43.4 +18.9
Pessac-Léognan rouge 47.2 34.6 30.7 35.7 38.1 38.5 -1.0
Pomerol 43.0 39.8 28.9 32.3 45.2 36.1 +25.2

Tableau 2 : Rendement moyen du vignoble par appellation (hl/ha)

Source: calcul à partir des données Duanes compilées par le CIVB Service Economie et Etudes

Les vins eux-mêmes

L'hétérogénéité est le maître mot du millésime 2023 à Saint-Émilion. Mais elle n'est pas - et ne doit pas être considérée comme - synonyme d'absence de qualité. Il y a vraiment de grands vins à trouver à Saint-Émilion en 2023. En effet, et aussi paradoxal que cela puisse paraître à première vue, compte tenu de l'étendue de l'appellation et de la taille relativement petite des vignobles, il n'est finalement pas surprenant qu'il y ait plus de grands vins ici que dans n'importe quelle autre appellation de premier plan.

Il y a au moins 30 vins que j'aimerais voir téléportés dans ma cave dans 5 à 10 ans (sur plus de 150 dégustés, il est vrai). On ne peut pas en dire autant des autres grandes appellations.

Mais c'est peut-être pour adoucir la pilule. Car il y a finalement une série de plafonds de verre sous lesquels les vins de l'appellation semblent s'agglutiner. Nous avons déjà abordé le premier - le seuil de qualité fixé par la présence du mildiou systémique et ses conséquences dans de nombreux vignobles.

Mais ce n'est que le premier des trois. La deuxième est la tendance d'au moins certains de ces vins, généralement issus de terroirs moins importants, à être maigres et élancés, légèrement creux en milieu de bouche et abrasifs en fin de bouche en raison de la combinaison de tannins grossiers et d'une acidité élevée. La troisième résulte simplement de la diversité qualitative des terroirs de Saint-Émilion, avec la qualité cristalline, limpide et lumineuse du millésime combinée à un retour à un style de vinification plus classique, révélant dans certains cas des vins bien faits manquant de complexité et d'intérêt. Si mes notes les plus élevées sont les mêmes qu'en 2022, ma note moyenne pour les grands crus classés est plus basse et la pente de leur déclin exponentiel est plus forte.

A chacun de ces plafonds de verre, et surtout au dernier, 2023 se révèle être un millésime de qualité de terroir et de travail intense. Là où nous avons les deux, et les ressources pour rendre ce dernier possible, nous avons une véritable excellence. Mais elle est plus mince sur le terrain et plus inégalement répartie qu'elle ne l'était en 2022.

Pour moi, il y a surtout deux vins qui transcendent les défis des millésimes et qui brisent tous les plafonds de verre auxquels nous pourrions associer ces défis. Tous deux sont des expressions magiques de leurs terroirs très différents, uniques et exceptionnels - Cheval Blanc et Beauséjour. Je les aime tous les deux et je n'aimerais pas avoir à choisir entre les deux.

Ils coiffent au poteau - mais seulement d'un cheveu - deux autres vins transcendants qui sont certainement pour moi à la hauteur de tout ce que j'ai jamais goûté de l'une ou l'autre propriété. Il s'agit de Figeac et de Rocheyron, le premier issu d'un terroir à dominante argileuse et graveleuse, le second d'un terroir à dominante calcaire et argileuse.

Il n'est peut-être pas surprenant que Ausone, Bélair-Monange, Angélus, Canon et Pavie aient également produit des vins d'un éclat stupéfiant une fois de plus, mais permettez-moi de mentionner tout particulièrement cinq vins qui ont produit ce que j'ai jamais goûté de meilleur dans le contexte du millésime. Il s'agit, dans l'ordre alphabétique, de Beau-Séjour Bécot, Bellefont Belcier, Clos de Sarpe, Couvent des Jacobins et Lassègue.

Et, en termes de rapport qualité-prix, il est difficile de faire mieux que (encore une fois, par ordre alphabétique) : Berliquet, Couvent des Jacobins (une fois de plus), Laroque, Lassègue (idem) et Mangot.

Permettez-moi de terminer par une observation potentiellement intéressante inspirée par une réflexion du même type l'année dernière. Dans mon profil d'appellation du millésime 2022, j'en avais identifié 24, dont 12 seulement figuraient dans le nouveau classement des vins de Saint-Émilion. Cette année, j'ai identifié 29 étoiles du millésime (2023), dont 21 figurent dans le même classement.

Faits marquants en 2023

Meilleur de l'appellation :

  • Cheval Blanc (98-100)
  • Beauséjour (98-100)

C'est vraiment formidable :

  • Figeac (97-99)
  • Rocheyron (97-99)
  • Ausone (96-98+)
  • Bélair-Monange (96-98+)
  • Angélus (96-98)
  • Beau-Séjour Bécot (96-98)
  • Canon (96-98)
  • Pavie (96-98)

Excellent :

  • Clos Fourtet (95-97+)
  • Croix de Labrie (95-97+)
  • Larcis Ducasse (95-97+)
  • Berliquet (95-97)
  • L'If (95-97)
  • La Mondotte (95-97)
  • Troplong Mondot (95-97)
  • Trottevieille (95-97)
  • Valandraud (95-97)
  • Bellefont Belcier (94-96+)
  • Laroque (94-96+)

Le choix de la valeur :

  • Berliquet (95-97)
  • Bellefont Belcier (94-96+)
  • Laroque (94-96+)
  • Calicem (94-96)
  • Tour St-Christophe (93-95+)
  • Couvent des Jacobins (93-95)
  • La Dominique (93-95)
  • L'Etampe (93-95)
  • Fonplégade (93-95)
  • Fleur de Lisse (93-95)
  • Lassègue (93-95)
  • Mangot (93-95)

Voir ici les notes de dégustation complètes de Colin sur le Saint Émilion et son analyse des appellations Margaux, Saint Julien, Pauillac, Saint Estèphe et Saint Émilion.

En savoir plus :

Bordeaux 2023 en dix questions

Rapport sur le millésime 2023 de Bordeaux, partie I : qualité et quantité réunies, pour une fois

Rapport sur le millésime de Bordeaux partie 2 : un millésime de réactivité, de vigilance et de surveillance

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